Accueil | Espace membre | Contact grand public | Plan du site | Mentions légales
Vous êtes ici :
Un langage traditionnel

Le vocabulaire de la Volerie 

D'une grande richesse il convient de le perpétuer.
 

« Le vocabulaire constitue un indicateur extrêmement sensible de la culture d’un peuple » [1].

Celui de la volerie française témoigne d’un sommet de civilisation. Il n’est pas né d’une volonté de créer un langage hermétique, mais d’une rigueur, nécessairement discursive, destinée à traduire le plus exactement possible l’observation de la vérité. En effet, pour décrire et transmettre le raffinement des techniques d’affaitage, évoquer la richesse de la parure des oiseaux de chasse, rapporter la diversité de leurs entreprises, analyser les nombreuses défenses du gibier etc., les hommes ont été contraints de ciseler de nouveaux mots, précis et éloquents. Lorsque les substantifs, verbes et autres adjectifs leur ont semblé insuffisants, notamment pour exprimer des impressions, des situations ou des concepts, ils ont construit des locutions. La langue des fauconniers est ainsi progressivement devenue ce qu’elle est aujourd’hui, un trésor séculaire de réflexion et de pratique. Et parce que la volerie, comme la vénerie, était jadis réservée à des personnes de qualité[2], sa terminologie est empreinte de noblesse[3].
 
De nombreux termes, empruntés à la langue parlée, revêtent une acception spécifique lorsqu’ils sont employés dans le contexte de la chasse au vol, d’autres ont été créés de toute pièce, entre les XIVème et XVIème siècles surtout. Les origines terminologiques sont diverses : germaniques pour certaines, en particulier dans la désignation d’oiseaux rapaces (épervier, gerfaut, émerillon) mais aussi pour leurre, gibier, témoignant des invasions aux premiers siècles de l’ère chrétienne, arabes plus rarement, nées de la traduction en franco-italien, au XIVème siècle, du traité de Moamin et Ghatrif[4], mais également du contact entre musulmans et Espagnols  en al Andalus, latines essentiellement, suite à la traduction en langue vernaculaire des traités latins des XIIème et XIIIème siècles[5]. A partir du XVIIème siècle, les étymologies sont autant grecques que latines. Si nombre de mots sont tombés en désuétude, ils restent gravés dans la mémoire des chasseurs au vol contemporains comme autant de clés en réponse à leurs interrogations. «Pour connaître un art il faut connaître son vocabulaire. Les mots créent l’architecture mentale sur laquelle se construisent nos connaissances dans un domaine particulier. Un art ancien, comme la fauconnerie, ne peut pas être confiné à la description de son vocabulaire moderne ; sa compréhension en profondeur doit reposer sur une connaissance historique de sa tradition. »[6] 

Plus de huit-cent cinquante termes et expressions ont été recensés depuis le XVIème siècle[7]. Baudouin Van den Abeele a eu la curiosité d’en dresser un inventaire par champs sémantiques : quarante et un termes concernent la désignation des oiseaux de chasse, cent-soixante et un leur description, trente-trois leur comportement naturel, vingt et un servent à définir les circonstances de leur capture et cinquante à parler de leur affaitage. Soixante-quinze désignent des ustensiles et accessoires spécifiques et pas moins de trois-cents quinze sont répertoriés pour la chasse proprement dite. Les maladies recensées, qui ne prennent évidemment pas en compte le jargon scientifique vétérinaire moderne, sont volontairement limitées à quarante  affections du vocabulaire traditionnel; cent-huit lexies pour les soins préventifs et curatifs témoignent du souci immémorial des fauconniers pour la santé de leurs compagnons de vol.
 
La chasse à vol avait jadis un tel prestige que son influence s’étendait à la société tout entière. Non seulement elle donna plusieurs termes et locutions de son vocabulaire à la vénerie puis à la chasse à tir, mais la langue française courante lui doit quelques expressions.
Ainsi prendre le change, qui signifie qu’un oiseau de vol quitte son entreprise initiale pour un autre gibier, est synonyme depuis la fin du XVIIème siècle de se laisser abuser, se laisser convaincre ou persuader par un faux-semblant[8]. Donner le change, qui témoigne de l’intention du gibier volé d’échapper à son poursuivant en lui livrant un autre animal, est attesté chez Molière en 1656 dans le sens de tromper quelqu’un en lui faisant prendre une chose pour une autre[9]. Notons que ces deux locutions ont un sens identique en volerie et en vénerie, et il est hasardeux de vouloir en attribuer la prééminence à l’un ou l’autre mode de chasse.
L’emploi figuré de chaperonner est enregistré depuis 1835 dans le Dictionnaire de l’Académie Française pour exprimer le fait de protéger et surveiller une jeune personne lors de ses premiers contacts avec le monde[10], chaperon étant le nom logique dévolu au tuteur.
Débonnaire, qualificatif d’un oiseau de bonne origine, littéralement en provenance d’une bonne aire, a pris un sens péjoratif dans la langue vernaculaire pour qualifier une bonté exagérée qui dégénère en faiblesse[11].
Le verbe dessiller est la forme orthographique altérée de déciller[12] qui, en fauconnerie, exprime l’action de relâcher graduellement les fils avec lesquels ont été cousues les paupières d’un faucon dans le but de libérer plus ou moins partiellement son champ visuel occulté par un cillage préalable.
L’entregent est le moment de l’affaitage où l’on porte l’oiseau dans la foule, entre les gens, pour l’habituer à la présence du monde et de ses bruits. Ce mot est l’essence de l’expression avoir de l’entregent, un peu désuète mais non abandonnée, qui s’applique à une personne ayant de l’aisance, de l’habileté dans la manière de se comporter[13] et rompue à tous les bons usages du savoir-vivre[14].
Un mariage d’épervier est un mariage dans lequel la femme est plus adroite et plus active que son mari, par analogie à la forme d’épervier plus prisée que le mouchet, de taille nettement inférieure, et réputé moins efficace et peu fidèle[15]. Le dicton qui affirme qu’on ne saurait faire d’une buse un épervier fait référence à la dichotomie opposant rapaces nobles et ignobles.
Gibier, qui est initialement la dénomination exclusive des prises des oiseaux de chasse, celles des chiens de vénerie étant la venaison et la porchaison, a fini par désigner tout animal chassable légalement, indépendamment du mode de chasse utilisé[16].
Gorge, terme de l’art à l’origine de nombreuses locutions (donner une gorge, une pleine gorge, une demi-gorge, une bonne gorge, une gorge chaude ou froide, rendre sa gorge, etc.), entre dans deux expressions courantes : faire des gorges chaudes employée pour railler en société avec malveillance et délectation et rendre sa gorge dans les sens de vomir[17] et d’obliger quelqu’un à restituer ce qu’il a acquis par des moyens illicites[18].
Un hagard est un oiseau de vol capturé dans la nature en livrée d’adulte. Hagard est passé dans le langage courant au XVIème siècle pour dire de quelqu’un qu’il a l’air farouche et sauvage ou que son comportement traduit un grand désarroi, un état d’égarement, par analogie à l’attitude effrayée du hagard qui vient d’être capturé[19].
De haut vol ou de haute volée sont devenues des expressions synonymes de haute extraction, de grande compétence, de grande envergure mais qui servent aussi parfois à qualifier un escroc[20]. Hobereau a été emprunté au vocabulaire de la fauconnerie à partir de 1579 pour désigner un gentilhomme campagnard de petite noblesse et de petite fortune passant une grande partie de son temps à la chasse[21]. Le dicton « ce n’est pas viande pour vos oiseaux » procède de la même intention, pour signifier à quelqu’un que ce qu’il convoite est au dessus de ses moyens.
Le sens médiéval de leurre reste purement technique et ce n’est qu’au XVIème siècle qu’il prit le sens figuré d’artifice trompeur[22]. Logiquement, le verbe leurrer est employé pour duper, tromper, et sa forme réfléchie, se leurrer, pour se faire des illusions sur…[23].
Niais est utilisé par les chasseurs au vol comme adjectif qualificatif autant que comme substantif pour témoigner de la capture d’un oiseau de vol à l’aire. Il l’est au figuré dès le XIIème siècle comme adjectif dans le sens de simple, sans usage du monde, puis comme nom à partir du XVème siècle pour parler d’une personne dont le comportement sot et gauche est dû à un excès de simplicité ou à un manque d’expérience[24]. La variante niard est passée dans le langage argotique pour désigner un enfant accroché aux jupes de sa mère et qui n’est pas attachant. Un béjaune, un jeune oiseau en langage de fauconnier, est employé pour dire d’un jeune homme novice, un peu simple, qu’il est inexpérimenté[25].
Citons enfin le magnifique mot ressource employé par les aviateurs pour la manœuvre de redressement brusque d’un avion qui passe du piqué (descente) à la chandelle (montée)[26].

 
L’apparente richesse du vocabulaire de la volerie française est bien dérisoire quand il s’agit d’exprimer le merveilleux de la création divine. Elle dit cependant combien le déduit des oiseaux est chargé de sens et est au dessus du vulgaire. Toute personne qui entre en volerie hérite d’une tradition ancestrale qu’elle s’engage à assumer dans sa pratique et dans son expression. En s’appropriant l’immensité de ce patrimoine, désormais protégé par l’U.N.E.S.C.O., elle devient garante de sa pureté et responsable de sa transmission orale par le truchement d’un langage qu’elle se doit de préserver de l’appauvrissement lexical et de la corruption affligeante des anglicismes qui le menacent[27].    


______________________________________________________________________________

[1] E. SAPIR, Linguistique, Éd. Gallimard, Coll. Folio-essais, Paris, 1991, p. 57.
[2] Au Moyen Âge, contrairement à une idée reçue de l’enseignement républicain,  la chasse au vol n’était pas un privilège de la noblesse puisque les bourgeois pouvaient s’y adonner (B. VAN DEN ABEELE, La Fauconnerie au Moyen Âge, Éd. Klincksieck, Paris, 1994).
[3] M. LENOBLE-PINSON, Poil et plumes, Éd. Duculot, Paris - Louvain la Neuve, 1989, p. 10.
[4] Id.
[5] B. VAN DEN ABEELE, La langue de la Fauconnerie (dans le traité de chasse au vol  de P. MOREL, Éd. de Montbel, Paris, à paraître).
[6] M.-D. GLESSGEN, Préface du Lexique de la Chasse au Vol d’H. Beaufrère, Éd. Librairie des Arts et Métiers, Bibliotheca cynegetica - 4, Nogent-le-Roi, 2004, p. XV.
[7] H. BEAUFRÈRE, Lexique de la Chasse au Vol, Éd. Librairie des Arts et Métiers, Bibliotheca cynegetica - 4, Nogent-le-Roi, 2004.
[8] A. FURETIÈRE, Dictionnaire universel, Éd. Arnout & Reiner Leers, La Haye et Rotterdam, 1690.
[9] M. LENOBLE-PINSON, Poil et plumes, Éd. Duculot, Paris - Louvain la Neuve, 1989, p. 56.
[10] M. LENOBLE-PINSON, Poil et plumes, Éd. Duculot, Paris - Louvain la Neuve, 1989, p. 59.
[11] Dictionnaires Lexis et Grand Robert.
[12] P.-É. LITTRÉ, Dictionnaire de la langue française, Paris, 1872 et 1877.
[13] Dictionnaires Littré, Lexis et Grand Robert.
[14] M. LENOBLE-PINSON, Poil et plumes, Éd. Duculot, Paris - Louvain la Neuve, 1989, p. 103.
[15] M. LENOBLE-PINSON, Poil et plumes, Éd. Duculot, Paris - Louvain la Neuve, 1989, p. 106.
[16] G. de MAROLLES, Fauconnerie et vénerie, Éd. De l’Éleveur, Paris, 1922, p. 30. Dictionnaires Littré, Lexis et Grand Robert
[17] Dictionnaire Lexis.
[18] Dictionnaires Le Trésor de la Langue Française et Le Grand Robert.
[19] M. LENOBLE-PINSON, Poil et plumes, Éd. Duculot, Paris - Louvain la Neuve, 1989, p. 125-126.
[20] M. LENOBLE-PINSON, Poil et plumes, Éd. Duculot, Paris - Louvain la Neuve, 1989, p. 208.
[21] M. LENOBLE-PINSON, Poil et plumes, Éd. Duculot, Paris - Louvain la Neuve, 1989, p. 139.
[22] B. VAN DEN ABEELE, La fauconnerie dans les lettres françaises du XIIe au XIVe siècle, Leuven University Press, Louvain, 1990, p. 189 note 156.
[23] Dictionnaires Littré et Grand Robert.
[24] H. SCHLEGEL et A.-H. VERSTER DE WULVERHORST, Traité de fauconnerie, Éd. Hermann, Paris, 1980 (réédition de 1844), p. 1 ; M. LENOBLE-PINSON, Poil et plumes, Éd. Duculot, Paris - Louvain la Neuve, 1989, p. 162.
[25] Dictionnaire Lexis.
[26] Le Trésor de la Langue Française.
[27] Comme le souligne M. Lenoble-Pinson, « Au fil des siècles, le vocabulaire français de la chasse est resté authentiquement français. Même à notre époque, il semble à l’abri des modes et de l’influence anglo-saxonne, qui marque la langue courante et surtout les langues des sciences et des techniques. », Poil et plumes, Éd. Duculot, Paris - Louvain la Neuve, 1989, p. 11.

  

 





















UNESCO
Accueil | Espace membre | Contact grand public | Plan du site | Mentions légales
Réalisé par NEFTIS - Powered by Flexit